« Pendant la crise, le monde a tenu
sur ses appuis »
Auteur de deux récents ouvrages (1) sur la crise sanitaire et ses conséquences, Martin Steffens livre une réflexion sans concession, mais aussi pleine d’espérance, sur la pandémie, sa gestion par les dirigeants politiques, et sur la responsabilité de chacun pour construire un monde plus hospitalier.

Comment porter un regard d’espérance sur la crise sanitaire ?
Je suis de ceux qui pensent que, dans toute épreuve, il y a à la fois ce qu’elle bouscule ou blesse en nous, et ce qu’elle apporte comme possibilité de renaissance ou d’invention. J’ai assez vite pensé que cette crise ne serait pas simplement une occasion de se remettre au sport ou de prier, mais qu’elle viendrait toucher les choses en profondeur. Gardons-nous du déni, ou de sauter trop vite sur une épreuve pour tout de suite lui donner du sens. Je crois que l’épreuve, irruption du non-sens dans le sens d’une vie, apporte aussi beaucoup de force pour la vivre. Mais cela requiert une vraie qualité d’attention pour que celles-ci se découvrent à nous. Une fois ce préambule posé, je peux dire que, personnellement, la crise m’a réveillé à cette fameuse question : « À quoi est-ce que je tiens ? » Nous avons tous fait l’expérience que la vie ne tient qu’à un fil, le fil de la relation. Sans les autres, on n’est pas grand-chose. Cette période vient nous questionner sur l’importance de la relation quand on est confronté à la décision de se faire vacciner, par exemple : « Est-ce que je fais du vaccin la condition de la relation, ou est-ce l’inverse ? »
Les regards se sont tournés vers les plus fragiles…
Oui, nous avons été obligés de nous demander qui avait le plus besoin de notre attention, même si je crois que, à cet égard, il y avait un rendez-vous que nous avons un peu manqué : on s’est beaucoup soucié de l’espérance de vie alors qu’il aurait fallu remettre de l’espérance dans la vie. Quel est le plus fragile : la vie, ou l’espérance au cœur de notre vie ? On ne peut pas, au nom de l’espérance de vie, tuer la vie dans l’espérance. Et, malheureusement, on peut vivre très longtemps en ayant perdu l’espérance.
La crise n’agit-elle pas aussi comme un révélateur ?
Oui, pendant tout le premier confinement, notre pays n’a tenu que grâce aux métiers les moins bien payés. Il fallait voir ces tramways de nuit, habituellement remplis de fêtards, qui continuaient à fonctionner, seulement pour ceux qui partaient ou rentraient de leur travail… J’ai été étonné de la gentillesse, de la bonté de tous ces gens qui avaient encore la chance de travailler. Le bien est discret, et le mal est tapageur. Or la crise nous a donné à voir le bien à l’œuvre. Le temps de cette pandémie, le monde devait tenir sur ses appuis. Et il a tenu, grâce aux gens qu’on zappe. Le sol n’est jamais ce que l’on regarde dans un édifice, or on ne ferait rien sans lui. Cela me fait penser à saint Joseph, le silencieux.
Comment la période que nous traversons peut-elle nous faire grandir ?
Je trouve que nous vivons une crise majeure de l’hospitalité. Nous vivons dans un monde où on ne peut plus s’étreindre sur un quai de gare, où chaque immeuble a un digicode, chaque objet, son QR Code… Comment réagir ? On sait bien que les révolutions ne résolvent pas les problèmes.

Crédit photo : ©DR
Il faut de la patience et de l’attention pour accueillir les signes des temps. Comme les rois mages, on marche dans la nuit. Mais la nuit passe, le mal est limité, même s’il se croit le maître du monde. Il nous faudra faire mémoire de ce que nous avons vécu et appris, ne pas oublier. Et se poser la question : « Que fais-tu de tes blessures ? Que fais-tu de tes peurs ? » Pour faire vivre cette communauté humaine qui a pris conscience d’elle-même, nous manquons de lieux pour vivre ensemble, simplement. Il y a tant de seuils à franchir. L’urgence est de susciter des lieux où l’on puisse passer la porte. C’est déjà le cas des églises, où l’on n’est pas obligé de faire de sa venue tout un projet. Créons des lieux de gratuité, où l’on puisse dire : « Entre ici, qui que tu sois, on t’aime. »
1 Marcher la nuit, Éditions Desclée de Brouwer et Faire Face, avec Pierre Dulau, Éditions Première Partie
Comment porter un regard d’espérance sur la crise sanitaire ?
Je suis de ceux qui pensent que, dans toute épreuve, il y a à la fois ce qu’elle bouscule ou blesse en nous, et ce qu’elle apporte comme possibilité de renaissance ou d’invention. J’ai assez vite pensé que cette crise ne serait pas simplement une occasion de se remettre au sport ou de prier, mais qu’elle viendrait toucher les choses en profondeur. Gardons-nous du déni, ou de sauter trop vite sur une épreuve pour tout de suite lui donner du sens. Je crois que l’épreuve, irruption du non-sens dans le sens d’une vie, apporte aussi beaucoup de force pour la vivre. Mais cela requiert une vraie qualité d’attention pour que celles-ci se découvrent à nous. Une fois ce préambule posé, je peux dire que, personnellement, la crise m’a réveillé à cette fameuse question : « À quoi est-ce que je tiens ? » Nous avons tous fait l’expérience que la vie ne tient qu’à un fil, le fil de la relation. Sans les autres, on n’est pas grand-chose. Cette période vient nous questionner sur l’importance de la relation quand on est confronté à la décision de se faire vacciner, par exemple : « Est-ce que je fais du vaccin la condition de la relation, ou est-ce l’inverse ? »
Les regards se sont tournés vers les plus fragiles…
Oui, nous avons été obligés de nous demander qui avait le plus besoin de notre attention, même si je crois que, à cet égard, il y avait un rendez-vous que nous avons un peu manqué : on s’est beaucoup soucié de l’espérance de vie alors qu’il aurait fallu remettre de l’espérance dans la vie. Quel est le plus fragile : la vie, ou l’espérance au cœur de notre vie ? On ne peut pas, au nom de l’espérance de vie, tuer la vie dans l’espérance. Et, malheureusement, on peut vivre très longtemps en ayant perdu l’espérance. Pour autant, ce qui est vrai, c’est que, en faisant tous l’expérience de la pauvreté, nous avons découvert que la relation d’aide est toujours à double sens. Nous nous sommes tous retrouvés isolés, confinés, même ceux dont la vocation est de rendre visite. Cette solidarité dans l’épreuve nous a fait découvrir que, quand un être humain en aide un autre, c’est toujours toute l’humanité qu’il aide. La relation d’aide ne peut être acceptable que si l’on consent à ce que ce soit un pauvre qui en aide un autre.
La crise n’agit-elle pas aussi comme un révélateur ?
Oui, pendant tout le premier confinement, notre pays n’a tenu que grâce aux métiers les moins bien payés. Il fallait voir ces tramways de nuit, habituellement remplis de fêtards, qui continuaient à fonctionner, seulement pour ceux qui partaient ou rentraient de leur travail… J’ai été étonné de la gentillesse, de la bonté de tous ces gens qui avaient encore la chance de travailler. Le bien est discret, et le mal est tapageur. Or la crise nous a donné à voir le bien à l’œuvre. Le temps de cette pandémie, le monde devait tenir sur ses appuis. Et il a tenu, grâce aux gens qu’on zappe. Le sol n’est jamais ce que l’on regarde dans un édifice, or on ne ferait rien sans lui. Cela me fait penser à saint Joseph, le silencieux.
Comment la période que nous traversons peut-elle nous faire grandir ?
Je trouve que nous vivons une crise majeure de l’hospitalité. Nous vivons dans un monde où on ne peut plus s’étreindre sur un quai de gare, où chaque immeuble a un digicode, chaque objet, son QR Code… Comment réagir ? On sait bien que les révolutions ne résolvent pas les problèmes. Il faut de la patience et de l’attention pour accueillir les signes des temps. Comme les rois mages, on marche dans la nuit. Mais la nuit passe, le mal est limité, même s’il se croit le maître du monde. Il nous faudra faire mémoire de ce que nous avons vécu et appris, ne pas oublier. Et se poser la question : « Que fais-tu de tes blessures ? Que fais-tu de tes peurs ? » Pour faire vivre cette communauté humaine qui a pris conscience d’elle-même, nous manquons de lieux pour vivre ensemble, simplement. Il y a tant de seuils à franchir. L’urgence est de susciter des lieux où l’on puisse passer la porte. C’est déjà le cas des églises, où l’on n’est pas obligé de faire de sa venue tout un projet. Créons des lieux de gratuité, où l’on puisse dire : « Entre ici, qui que tu sois, on t’aime. »
1 Marcher la nuit, Éditions Desclée de Brouwer et Faire Face, avec Pierre Dulau, Éditions Première Partie

Crédit photo : ©DR
ET À LA SSVP ?
Les équipes font le plein

Crédit photo : ©SSVP
« Peut-être qu’on s’était un peu endormis… La crise nous a réveillés, donné envie d’en faire plus ». Au sein des équipes de la SSVP de Saint-Étienne (42), la pandémie a plutôt été synonyme de regain d’énergie, témoigne Aurélie Chatagnon, énergique responsable de la communication au Conseil départemental et, depuis peu, « recruteuse en chef » ! Car, depuis le premier confinement, près de quarante nouveaux bénévoles sont venus grossir les rangs des habitués, du jamais vu.
« Quand on appelle à l’aide, on se rend compte que certains n’attendaient que ça », a-t-elle découvert : beaucoup de jeunes retraités, dont la plupart ont pérennisé leur engagement, comme Christiane, 64 ans. Déjà engagée à la Banque Alimentaire, elle a rejoint la Société de Saint-Vincent-de-Paul en répondant, en août dernier, à l’appel lancé par la ville de Saint-Étienne, en partenariat avec plusieurs associations, pour assurer l’aide alimentaire pendant l’été :
« Personnellement, le bénévolat m’a aussi beaucoup aidée pendant la crise. Ça fait tellement plaisir de se lever le matin pour rendre service, et voir le sourire des personnes qui viennent chercher leur colis », témoigne-t-elle. Pour toutes ces raisons, elle n’a pas hésité quand on l’a rappelée à la fin de l’été, lui proposant de rester. « Dans mon équipe, nous sommes six ou huit, nouveaux pour la plupart, dans une très bonne ambiance ».
Autant de changements qu’il faut cependant faire accepter par tout le monde, relève Michel Zanoguera, président du Conseil départemental de la SSVP à Saint-Étienne : « Il y a un cheminement à faire, mais tout cela est prometteur », analyse celui qui aimerait que ses confrères vincentiens approfondissent la spiritualité et la spécificité de leur engagement. Pour cela, il nourrit, entre autres projets, celui de proposer des formations, ce qui devrait être rendu possible par les subventions reçues à la faveur de la pandémie. Encore une opportunité offerte par la crise…
« Quand on appelle à l’aide, on se rend compte que certains n’attendaient que ça », a-t-elle découvert : beaucoup de jeunes retraités, dont la plupart ont pérennisé leur engagement, comme Christiane, 64 ans. Déjà engagée à la Banque Alimentaire, elle a rejoint la Société de Saint-Vincent-de-Paul en répondant, en août dernier, à l’appel lancé par la ville de Saint-Étienne, en partenariat avec plusieurs associations, pour assurer l’aide alimentaire pendant l’été : « Personnellement, le bénévolat m’a aussi beaucoup aidée pendant la crise. Ça fait tellement plaisir de se lever le matin pour rendre service, et voir le sourire des personnes qui viennent chercher leur colis », témoigne-t-elle. Pour toutes ces raisons, elle n’a pas hésité quand on l’a rappelée à la fin de l’été, lui proposant de rester. « Dans mon équipe, nous sommes six ou huit, nouveaux pour la plupart, dans une très bonne ambiance ».
Autant de changements qu’il faut cependant faire accepter par tout le monde, relève Michel Zanoguera, président du Conseil départemental de la SSVP à Saint-Étienne : « Il y a un cheminement à faire, mais tout cela est prometteur », analyse celui qui aimerait que ses confrères vincentiens approfondissent la spiritualité et la spécificité de leur engagement. Pour cela, il nourrit, entre autres projets, celui de proposer des formations, ce qui devrait être rendu possible par les subventions reçues à la faveur de la pandémie. Encore une opportunité offerte par la crise…
SUITE DU DOSSIER "Des raisons d’espérer… pour avancer"
Des raisons d’espérer… pour avancer
Et si la crise sanitaire avait aussi permis de belles choses, malgré les drames bien réels et l’incertitude qu’elle a provoqués ? À travers ce dossier, Ozanam magazine a choisi de se pencher sur les bonnes occasions et sur les prises de conscience que la crise a suscitées, en particulier dans le monde associatif. Pour que, portés par l’espérance, nous puissions aller à la rencontre des plus démunis, forts de ces enseignements.
Comment avancer sur le chemin de la fraternité ?
Et si la sortie de cette période de crise était l’occasion de revisiter notre manière d’agir ? À l’aide des « défis fraternels » proposés en vidéo sur notre réseau interne Workplace, ces derniers mois, nous pouvons faire l’expérience que certaines façons d’être favorisent une fraternité authentique entre nous, bénévoles, et ceux que nous rencontrons.