

Étienne Grieu :
Dans le pauvre, est-ce Dieu que je sers ou suis-je esclave d’une idole ?
Le jésuite et théologien Étienne Grieu a participé à la revitalisation des services de la charité en France par Diaconia 2013.
Connaissant bien les richesses et les difficultés dans les domaines de la pauvreté et de l’aide sociale, il propose des outils pour prendre du recul, analyser ses expériences et retrouver la joie.
À la suite de Roland Meynet
dans son « Évangile de Luc »,
vous invitez à relire ses expériences à la lumière des pèlerins d’Emmaüs (Luc 24, 13-33). Ceux-là, après la mort du Christ, quittent Jérusalem dans le désespoir. Est-ce un premier bon réflexe que de partir en cas de profond découragement ?
Tout dépend comment ! Il ne s’agit pas de tout plaquer, ce qu’ils font quand même un peu, mais de prendre du recul, de s’éloigner. Parfois, c’est nécessaire.
Dans leur fuite, ils rencontrent
« un étranger » qui les interroge,
à qui ils racontent ce qui s’est passé. Vous invitez à faire de même. Comment ?
C’est une démarche qui commence par une méditation solitaire, dans une « atmosphère » de prière : il ne s’agit pas de réciter, mais de se mettre en présence de Dieu. Parce que cet étranger que rencontrent les disciples, ils ne le savent pas, mais c’est Jésus.
On peut le faire en groupe, mais en commençant par dix minutes de silence. Chacun se prépare, et posera à son tour les faits, sans forcer personne à s’exprimer. Quand on partage ce qui est douloureux, on n’est plus tout seul à le porter. Chacun dit aussi sa joie, sa paix et ce qui le questionne : c’est important de ne pas les oublier, parce que la déception peut facilement tout envahir. On fera ensuite un deuxième silence et chacun pourra ou non reformuler son ressenti.
Mais il n’y a pas de joie dans ce que racontent les disciples d’Emmaüs au début !
Non, mais ils redisent leurs désirs : « Nous, nous espérions que c’était lui qui allait délivrer Israël ». Ils disent ce qui les étonne, qui les comblerait, qu’ils n’osent pas croire.
« Des femmes sont venues nous dire qu’elles avaient même eu une vision : des anges, qui disaient qu’il est vivant. » C’est important d’être attentif à ces petits signes parce que la joie, la paix peuvent nous être enfouies en profondeur, et nous habiter au-delà de la tristesse.
En fait, les disciples sont désespérés tant qu’ils ne comprennent pas le chemin de Dieu. Et nous, à quoi repérons-nous que nous nous trompons, que nous avons collé l’étiquette « volonté de Dieu »sur la nôtre ?
Ce n’est jamais facile. Un critère est que, quand on se présente à Dieu, on se réunifie. Si, face à lui, on n’est pas en paix, on est pris dans un tourbillon, c’est que le désir n’est pas ajusté. Il faut commencer par le réaliser. Et se rappeler ce que proclame le psaume 63 : « C’est toi, mon Dieu, que je cherche ».
Un autre critère est de se demander ce que nous ressentirions si notre engagement nous était retiré. Si nous nous sentons dépossédés, en danger de mort, c’est peut-être le signe qu’on en est, en fait, prisonnier, comme si notre vie en dépendait.
C’est un terrible critère, parce qu’on s’attache forcément ! Oui, et il y a un bon attachement, celui-là même qui déclenche l’engagement. Mais se le voir retiré ne donne pas l’impression qu’on va mourir.
L’enjeu est important parce que notre volonté, mise à la place de celle de Dieu, se transforme en idole. Elle nous soumet à des exigences très fortes, jamais assouvies. Elle nous met en tension, nous crispe, nous maltraite, nous épuise. Nos joies se trouvent dans la réussite, le succès, l’estime de soi, le bruit.
Alors que quand Dieu appelle, il fait grandir, il donne de trouver sa joie et sa consolation dans de petites choses silencieuses – un sourire reçu, un changement de notre regard. Ces joies, il est important de les goûter : elles sont notre nourriture. Si nous n’en faisons pas mémoire, elles s’étiolent. Et nous avons faim.
Dans la vie de tous les jours,
en particulier dans le domaine de l’accompagnement social, comment distingue-t-on l’urgent
de l’essentiel ?
L’essentiel, c’est ce qui nous fait vivre, ce qui nous appelle à exister. Attention à bien le distinguer de ce qui est de l’ordre de l’imaginaire. L’urgence est très présente dans le domaine social. Elle peut mettre sous pression et escamoter nos propres besoins vitaux, ce qui n’est pas bon. Il faut observer si on entre dans une vraie relation, où l’on attend et est attendu pour soi, ou dans une relation utilitariste – dans laquelle je suis utilisé ou j’utilise l’autre pour obtenir un bénéfice.
Pour relire spirituellement
son engagement, est-il nécessaire d’avoir
un accompagnateur spirituel ?
Non, et ce ne serait pas réaliste de l’imaginer. Mais, devant des décisions à prendre, devant des responsabilités lourdes, il peut être bon de prendre un temps d’accompagnement, de manière ponctuelle, par exemple en faisant une retraite.
PLUS D’INFOS
• Pour une relecture spirituelle de ses expériences, utiliser la 4e note théologique de Diaconia 2013 sur www.fondationjeanrodhain.org
• Étienne Grieu a tiré de son expérience en banlieue le sujet de sa thèse : Nés de Dieu. Itinéraires de chrétiens engagés, essai de lecture théologique, Le Cerf, 2003.
ET À LA SSVP ?
Et à la SSVP ?
Prendre l’Esprit
dans ses voiles
Yves Darel, président du Conseil départemental du Val-d’Oise s’appuie sur sa connaissance passionnée de la voile dans ses actions.

De son métier d’avocat, il tire l’art de convaincre. Et de sa passion pour la voile, qu’il enseigne, les analyses et la force des images. Écoutons-le : « On ne porte secours à un bateau en difficulté que si on est sûr du sien. C’est un principe précieux en voile qu’on gagne à pratiquer aussi au sein des Conférences. Et pour fortifier son bateau, il nous faut du repos, du recul, de la prière. Je le sais d’autant mieux que j’ai fait un burn-out, à 50 ans, dans mon métier d’avocat. Toute mon équipe sait que je dois faire attention. Il me faut neuf heures de sommeil par nuit, j’évite les soirées longues. Tous les ans, nous proposons à nos 180 bénévoles de se retrouver pour une journée spirituelle – la prochaine portera sur Madeleine Delbrêl. De plus, j’insiste pour que tous les nouveaux participent à une session de formation.
Prenons exemple
sur le Christ
Au-delà de la seule générosité, on ne donne que si on prend exemple sur le Christ, que si on est, comme l’écrit saint Paul, des « avortons » qui s’appuient sur le Christ.
Une main pour soi, une main pour le bateau, dit-on chez les « voileux » : c’est ce qui évite de tomber à l’eau ! Comme en voile, c’est nécessaire de vérifier qu’on garde le cap, qu’on n’est pas parti en dérive. La prière, c’est notre creuset. Et face aux difficultés que rencontrent les gens que nous visitons, c’est tellement nécessaire ! On les voit d’ailleurs, les généreux qui donnent au-dessus de leurs forces au risque de s’épuiser, de ne pas relayer à l’équipe, voire de s’approprier la personne qu’ils tentent d’aider. Et qu’ils n’aident plus, en fait, mais avec qui ils coulent. Il vaut pourtant mieux couper, transmettre à quelqu’un d’autre et remonter sur le bateau que se noyer ! C’est vital et c’est un minimum d’humilité. C’est une mauvaise compréhension de l’Évangile que de vouloir se sacrifier, se donner au-dessus de ses forces. Je relis souvent cette phrase que je porte sur moi : « L’âme renforce celui qui la protège ». Nous ne sommes que des serviteurs. C’est le Christ qui sauve. »
SUITE DU DOSSIER "OSEZ LE REPOS ! "
Oser le repos !
S’il y a incontestablement plus de joie à donner qu’à recevoir, il arrive qu’un dévouement excessif conduise à l’épuisement, voire au burn-out.
L’essentiel ? Bien vivre son bénévolat
Bénévoles : retrouvez quelques repères pour déceler
les signes d’épuisement et d’épanouissement.