Pandémie : être présents, tout simplement

Le thème de la campagne nationale de la SSVP s’est confirmé, malgré une situation inédite. Si la crise a exacerbé des difficultés majeures chez des personnes déjà en situation de précarité, elle a aussi révélé un magnifique élan de générosité. Enquête sur ces belles initiatives nées avec la pandémie de Covid-19.

Dossier par Iris Bridier, journaliste

Fallait-il qu’un virus mette le monde à l’arrêt pour que notre humanité reprenne conscience de sa vulnérabilité ? Cette crise sans précédent aura permis de nous recentrer sur les plus fragiles de notre société, mais elle aura aussi aggravé de nombreuses situations. La majorité des associations a été contrainte de fermer ses structures d’accueil, rendant, entre autres, les personnes de la rue encore plus vulnérables sur le plan sanitaire et alimentaire. « Plus que la faim, c’est l’isolement qui les guette » prévient Anne, jeune vincentienne à Paris. Outre la dégradation de conditions déjà très tendues, la crise a accru les difficultés économiques (perte d’emploi ou d’une partie de ses revenus) et sociales (violences familiales liées au confinement), mais aussi la fracture numérique et culturelle (difficulté pour certains parents d’assurer l’école à la maison).

Aussi, il y a « toutes ces personnes qui n’ont pas l’habitude de solliciter de l’aide, ces générations de retraités qui ont une pudeur assez forte et qui ne viennent pas, qu’il faudra repérer avec une plus grande attention » prévient Chantal Luchart, présidente du Conseil départemental de la SSVP des Alpes-Maritimes.

« L’amour est inventif à l’infini »

Cette parole de saint Vincent de Paul résume parfaitement l’engagement spécifique de la SSVP malgré l’épreuve du confinement : elle s’est rapidement adaptée pour répondre aux besoins des plus pauvres et aux sollicitations des partenaires (cf. p.18). À situation exceptionnelle, mobilisation exceptionnelle : « Nous n’avons jamais reçu autant d’appels pour aider ! » témoigne la Vincentienne Marylène Millet.

Partout, spontanément, de belles actions d’entraide de proximité sont lancées. À Chartres, Guy héberge un SDF sorti de prison en attendant qu’un logement lui soit attribué après le confinement. À Châteaudun, l’équipe du Secours Catholique écrit des lettres aux détenus. À Angers, des membres du Rotary ne pouvant se rendre au restaurant, ont offert ce budget aux Vincentiens. À Rennes, des paniers suspendus invitent les passants à déposer un produit de première nécessité s’ils le peuvent, ou à se servir s’ils ne le peuvent pas. À Mulhouse, l’association de cyclistes Achtung Bicyclette livre les personnes isolées. Çà et là s’organise la confection de blouses pour les soignants ou l’envoi de courriers et de dessins aux résidents des EHPAD. « Le voisinage devient une ressource précieuse et indispensable pour assurer à nos aînés une continuité de vie » selon Atanase Périfan, président de la Fédération Européenne des Solidarités de Proximité.

Chiffres clés

Plus de 150 000 appels ont été reçus par la Croix-Rouge après six semaines d’opération « Croix-Rouge chez vous »

(Source : Croix-Rouge)
Nous n’avons jamais reçu autant d’appels pour aider

Crédit photo : Parc Saint-Charles

À Chartres, l’EHPAD Parc Saint-Charles s’est équipé de tablettes pour que les résidents communiquent avec leur famille.

Il a lancé un kit gratuit « Coronavirus : et si on s’organisait entre voisins ? » avec notamment ce précieux panneau des voisins sur lequel chacun peut noter son offre ou sa demande d’aide. Ce kit a été téléchargé plus d’un demi-million de fois. Des chaînes d’entraide avec l’application WhatsApp pour téléphone mobile ou par simples SMS permettent d’aider les plus faibles à récupérer leurs médicaments ou leur alimentation. Pour les personnes non connectées, les paroisses organisent des chaînes d’appelants.

DES COOPÉRATIONS RENFORCÉES

Pour suppléer la fermeture des structures, les coopérations s’improvisent. Avec l’explosion des appels au 115, la Croix-Rouge met à disposition ses moyens de secours au service du SAMU. « Les personnes à domicile sont très contentes de nous voir, elles sont rassurées » explique Paul Godeau, bénévole chef d’intervention à la Croix-Rouge. Dans l’épicentre du phénomène, Didier Leroy, président du Conseil départemental de la SSVP du Haut-Rhin, ajoute : « Les bénévoles de plus de 70 ans restent confinés chez eux, mais nous avons pu renforcer nos équipes grâce à des bonnes volontés venues se proposer spontanément et à des bénévoles recommandés par les mairies. Dans beaucoup de villes entre 5 000 et 15 000 habitants, ce sont les CCAS qui ont pris la relève de nos Conférences confinées » (cf. p.16), précisant aussi « qu’à Mulhouse, toutes les associations caritatives se retrouvent chaque semaine en visioconférence autour des acteurs sociaux de la mairie. » À Maintenon en Eure-et-Loir, le Secours Catholique, en lien avec les services sociaux départementaux et communaux, propose des chèques services aux personnes démunies.

Les associations s’appuient sur l’aide de l’État par cette plateforme #jeveuxaider leur permettant de recruter dans le vivier de la réserve civique (cf. p.17). Outre ces partenariats avec les collectivités, des coopérations avec l’Église permettent la distribution de paniers repas (cf. p.15). Enfin, les associations elles-mêmes s’entraident. Les Conférences des Alpes-Maritimes ont été sollicitées par la société ADOMA (Gestion de Foyers de travailleurs et migrants) et par l’association Parcours de femmes pour aider l’approvisionnement régulier en denrées alimentaires. « À Saint-Étienne, les Pompiers Humanitaires Français nous ont aidés à mettre en place les procédures. Nous avons aidé d’autres associations fermées. Cette synergie nous a permis de continuer à avancer » souligne Aurélie Chatagnon, responsable communication de la SSVP de la Loire.

DES FRUITS À CULTIVER

Parmi les fruits de cette situation particulière, la richesse des échanges intergénérationnels. « Merci à vous les jeunes qui font notre joie. Ce temps va finir, pensez à être heureux » écrit une résidente de l’EHPAD Parc Saint-Charles à Chartres, en réponse aux courriers envoyés par des écoliers. Odette, 96 ans, se réjouit quant à elle, d’avoir « beaucoup d’amis des Petits frères qui téléphonent, on est vraiment une bonne famille ». Catherine Viguerie, présidente de la Conférence de Châteaubriant témoigne : « Pendant le carême et jusqu’au temps pascal, nous n’avons jamais reçu autant d’encouragements, de petits mots et signes de remerciement. Retournez en Galilée, c’est là que vous me trouverez dit le Seigneur ressuscité à ses disciples, et bien, je peux témoigner que c’est bien là, dans le monde, dans la vie de tous les jours, les mains dans le cambouis, comme on dit, que les signes du Ressuscité sont les plus visibles ! »

Initiatives multipliées, prières intensifiées, joie du don expérimentée, plus grande attention à la vulnérabilité… Ces nombreux fruits, il faudra « les garder mais aussi les cultiver » note Chantal Luchart. « Comment garder la motivation des bénévoles à la sortie de la crise ? » s’interroge Marylène Millet. « Il y aura de vraies réflexions à mener ». Pour cela, un groupe de travail dédié à la relecture de cette crise a été créé à la SSVP. Il permettra, entre autres, de poursuivre la réponse à cet appel du pape François : « Ne pensez jamais que vous n’avez rien à apporter, ou que vous ne manquez à personne. Beaucoup de gens ont besoin de vous, sachez-le. »

ALLER PLUS LOIN

Une quinzaine de personnalités et de responsables d’associations catholiques, parmi lesquelles la SSVP, appellent les catholiques à aller au-devant de leurs concitoyens fragilisés par la crise sanitaire.
https://www.famillechretienne.fr/eglise/initiatives-et-engagements/nous-sortirons-un-appel-pour-aller-vers-les-plus-pauvres-274014

L’ENTRETIEN 

Quand la Ville s’associe à l’Église au service de la charité

Une initiative portée conjointement par les services municipaux et diocésains de Paris, en lien avec des associations locales (dont la SSVP), a permis de distribuer chaque jour, 4000 paniers repas aux personnes démunies. Le père Patrick O’Mahony, curé de la paroisse Saint-Jean-Baptiste-de-la-Salle, témoigne.

« Notre paroisse est déjà marquée par l’engagement bénévole (réveillon avec les Petits Frères des Pauvres, dîner chaque jeudi partagé avec les personnes démunies, opération Hiver Solidaire…). Elle a donc répondu favorablement à cette proposition émanant de la Ville de Paris associée au diocèse : distribuer des colis alimentaires pour suppléer la fermeture des structures associatives. Cette solution d’urgence est très vite montée en puissance puisque de quatre paniers repas distribués le premier jour, nous sommes passés à une centaine chaque midi avec six bénévoles.
La mairie fournissait la totalité des points de distribution aux 28 paroisses participantes. Parce que cela ne suffisait plus, l’équipe diocésaine, en lien avec la Ville, a multiplié les points de fabrication et donc d’approvisionnement.

Au départ, les demandeurs prenaient simplement leur panier. De jour en jour, des liens se sont tissés peu à peu, pour sortir du simple bonjour, établir la confiance, connaître le prénom et demander des nouvelles. Cette opération d’urgence a duré jusqu’au 31 mai, et nous avons ensuite réorienté les personnes vers les épiceries solidaires qui allaient reprendre du service. Dans notre paroisse, le relais Frémicourt, une association rattachée à la SSVP, a pu également accueillir les gens trois fois par semaine et proposer un vrai suivi social au-delà du simple colis alimentaire. Cette opération a permis de beaux fioretti. Tel cet homme qui venait quotidiennement chercher à manger. Il n’était pas baptisé. Il est arrivé un jour avec un tableau. Il avait peint, en le recopiant d’après un journal gratuit, le « Je vous salue Marie » et nous l’a offert en signe de reconnaissance. »

Crédit photo : C. de Torquat

SUITE DU DOSSIER "PANDÉMIE : ÊTRE PRÉSENTS, TOUT SIMPLEMENT "

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